Jacques-Alain Bénisti, député, et Christian Cointat, sénateur

Pour avoir, sous couvert de renforcer la loi Informatique et libertés, facilité la création de fichiers policiers toujours sans avoir à consulter le Parlement.

Mandatés par la commission des Lois de l’Assemblée, suite à la polémique autour du fichier Edvige, les députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP) avaient révélés, en juin 2009, que le nombre de fichiers policers avait augmenté de 70% ces trois dernières années, et que 25% d’entre-eux étaient “hors la loi” (faute de bases légales), ce qui avait jeté comme un froid.

Dans un geste suffisamment rare pour être relevé, les deux députés avaient décidé de co-signer une proposition de loi, adoptée dans la foulée, et à l’unanimité, par la commission des lois, visant à améliorer l’encadrement des fichiers policiers.

En créant, par simple décret, les deux fichiers censés remplacer Edvige au lendemain des émeutes de Poitiers (lire ce qu’en pensait le Collectif Non à Edvige en novembre 2009), Brice Hortefeux avait déclaré la guerre à cette proposition de loi parlementaire, dont la mesure phare prévoyait que tout fichier policier devait être débattu à l’Assemblée.

Le texte de Batho et Bénisti n’ayant toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, le groupe des parlementaires socialistes décida de le soumettre aux députés, le 19 novembre dernier.

Alors même qu’elle avait pourtant été co-rédigée par un député UMP, avant d’être adoptée, à l’unanimité, par la commission des lois présidée par un député UMP, le gouvernement et l’UMP qualifièrent la proposition de loi de… "socialiste", appelèrent à voter contre, et enterrèrent en grande pompe le texte censé encadrer les fichiers policiers, tout en avançant qu’ils seraient bel et bien encadrés grâce à quelques amendements déposés par Jacques-Alain Bénisti à la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

Alors que le texte initial prévoyait que la création de fichiers policiers devait désormais relever de la loi, l’amendement en question prévoit, lui, qu’ils fassent l’objet de simples arrêtés dès lors qu’ils répondent à 11 finalités, et permettent, en vrac, de :

"faciliter les rapprochements entre infractions, la recherche et l’identification d’éléments biométriques et biologiques, ou de personnes et d’objets "signalés", la constatation des infractions, la diffusion et le partage des informations entre services de police judiciaire, la centralisation des informations relatives à la prévention des atteintes à la sécurité publique, la gestion administrative et la transmission des décisions de justice, le contrôle d’accès à certains lieux, le recensement des personnes fichées, ainsi que l’alimentation automatique de certains fichiers…"

On voudrait donner un blanc-seing aux fichiers policiers qu’on ne s’y prendrait pas autrement, comme le reconnaît d’ailleurs, et non sans humour, Jacques-Alain Bénisti dans l’”exposé sommaire” d’explication de son amendement : « Si le Gouvernement souhaitait créer un fichier ne répondant pas à un (sic) de ces finalités, il devrait donc au préalable passer par la loi. »

De son côté, le Sénat discutait d’une proposition de loi "visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique", déposée par les Sénateurs Yves Détraigne (Union Centriste) et Anne-Marie Escoffier (RDSE), et qui visait notamment à faire autoriser par la loi (et non par simple arrété ministériel, comme cela est prévu aujourd’hui) tous les traitements intéressant la sécurité et la sureté nationale.

Or Christian Cointat, nommé rapporteur de cette proposition de loi, a présenté un amendement dénaturant totalement le souhait des sénateurs, puisqu’il prévoit d’autoriser la création de tout fichier, sur simple arrêté, dès lors qu’ils répondent à 13 finalités, en vrac :

"Permettre aux services de renseignement d’exercer leurs missions ; aux services de police judiciaire d’opérer des rapprochements entre des infractions susceptibles d’être liées entre elles ; faciliter l’utilisation d’éléments biométriques ou biologiques se rapportant aux personnes ; faciliter la diffusion et le partage des informations détenues par différents services de police judiciaire ; centraliser les informations destinées à prévenir les atteintes à la sécurité publique ; procéder à des enquêtes administratives liées à la sécurité publique ; organiser le contrôle de l’accès à certains lieux nécessitant une surveillance particulière ; recenser et gérer les données relatives aux personnes ou aux biens faisant l’objet d’une même catégorie de décision administrative ou judiciaire..."

L’objectif étant de "mieux encadrer la création de fichiers policiers" (sic), Christian Cointat propose également la création d’un "nouveau régime juridique" permettant aux services de police, de gendarmerie et de renseignements d’expérimenter de nouveaux fichiers, sur simple déclaration à la CNIL, et donc sans lui demander son avis...

Lors des débats, les sénateurs ont validé la proposition de Cointat, se contentant de retirer une seule des 13 finalités qui permettront de créer plus facilement des fichiers policiers : celle qui visait à "Permettre aux services de renseignement d’exercer leurs missions". Le texte attend désormais d’être débattu à l’Assemblée nationale.