Nouveau front de résistance nationale contre Base élèves

Derrière le fichier en tant que tel, se profile la "base des identifiants", les matricules qui suivront à la trace tous les élèves pendant une quarantaine d’années...

Une vingtaine de collectifs départementaux contre le fichier Base Elèves [1], représentés par environ 75 personnes, se sont réunis à Paris le 8 novembre 2008 afin de créer un "Collectif national" pour mieux coordonner les actions contre le fichage des enfants dès l’âge de 3 ans.

« Après l’arrêté du 1er novembre [2], les collectifs réaffirment leur opposition au traitement automatisé de données à caractère personnel « Base Elèves » mis en place dans le premier degré. Le point central du dispositif est l’immatriculation de tous les élèves à partir de trois ans. Des documents obtenus récemment dans le cadre d’un recours au Conseil d’Etat montrent que l’objectif premier du ministère est la mise en place de la Base Nationale des Identifiants Elèves [BNIE], véritable répertoire de la jeunesse dont les données pourront être conservées… 35 ans ! », affirme le collectif que les Big Brother Awards ont rejoint dès leur création le 8 novembre.

Les premières revendications sont les suivantes :
 la destruction immédiate des données enregistrées de façon irrégulière depuis quatre ans ;
 la levée des menaces et des sanctions à l’encontre des directeurs d’écoles « réfractaires » ;
 la suppression définitive du dispositif Base Elèves.

« Le Collectif national appelle les parents à utiliser tous les recours pour empêcher l’inscription forcée de leur enfant dans le fichier. Il appelle les directeurs d’école à se rassembler pour une déclaration publique et solennelle d’objection de conscience. Il appelle l’opinion publique à ne pas accompagner ce pas décisif de l’histoire du fichage qu’est l’immatriculation dès la petite enfance. »

Comme le rappelle la section de Toulon de la LDH — dont la base documentaire sur ce sujet est sans aucun doute la plus complète à ce jour, cf la rubrique principale —, « Ce projet se met progressivement en place sans susciter beaucoup de réaction de la part d’une opinion publique quasiment anesthésiée. En effet, afin d’éviter les risques d’un débat démocratique, le gouvernement privilégie le recours à des décrets et arrêtés, au détriment de la voie législative. Et il n’hésite pas à procéder à des reculs tactiques quand il sent que l’opinion commence à s’émouvoir. Ajoutons que, depuis août 2004, la Cnil, autorité « indépendante », n’a plus le droit de s’opposer aux nouveaux fichiers de l’État. On retrouve ces méthodes dans la mise en place des fichiers Edvige et Base élèves. Dans ce dernier cas, le ministère a reculé mais il a conservé le plus important – l’Identifiant national élève (INE) qui suivra l’élève pendant toute sa scolarité – et il maintient la pression pour l’imposer. Les directeurs qui refusent d’entrer les données relatives à leurs élèves subissent des sanctions financières et sont menacés de perdre leur fonction de direction » [3].

Un recours devant le Conseil d’Etat est actuellement en cours d’examen afin de tenter de faire plier l’administration. Il a été déposé au début de l’été par deux parents d’élèves de l’Isère et fondateurs du collectif local de résistance (le CIRBE). Un autre recours de "référé suspension" a aussi été déposé début novembre pour tenter d’ouvrir une nouvelle brêche.

Le CNRBE a décidé de coordonner ses actions pour permettre notamment aux "refuzniks", les directeurs/trices qui refusent de se plier au diktat du ministère, de trouver une oreille attentive et un soutien juridique dans leur action de désobéissance. Les BBA connaissent plutôt bien le sujet, puisque notre palmarès 2006 avait salué les premiers directeurs d’école contestataires, ceux d’Ile-et-Vilaine, en leur remettant un prix Voltaire ex-aequo [4]. Dernièrement, les témoignages se multiplient de pressions des recteurs (via leurs inspecteurs d’académie ou leurs adjoints, les "IEN") sur les directeurs d’école maternelles ou primaires (qui sont, la plupart du temps, enseignants) pour, d’une part, les obliger à participer aux journées de "formation" de BE1D imposées par le Ministère, et, ensuite, de "renseigner" le fichier — c’est à dire d’y entrer les données concernant leurs élèves. Les premières retenues sur salaire ont été constatées à la rentrée 2008... Et les menaces de destitution se poursuivent, les directeurs risquant de perdre leur fonction directoriale, qui serait alors confiée à un autre fonctionnaire moins réfractaire.

Le CNRBE leur demande de faire oeuvre de désobéissance ou "d’objection de conscience". Ils peuvent pour cela consulter les arguments de leurs collègues Christian Gerbelot-Legris (Villefontaine, Isère, son témoignage ici) et Christophe Brunault (Vienne, cf son témoignage), qui ont décidé d’apparaître à "visage découvert" [5].

Les multiples reculs du ministère sur ce dossier, l’absence d’éléments sur les données déjà enregistrées mais qui n’ont plus lieu d’être (nationalité, origine des parents, culture et langue d’origine, besoins éducatifs spécialisés, antécédents médico-psychologiques...), sans oublier les interrogations qui restent en suspend sur l’autre fichier des "identifiants", la BNIE [6] —, tout cela devrait suffire à réunir une large mobilisation.

Les BBA en appellent d’ailleurs aux organisations syndicales ou associatives qui ont eu la clairvoyance de crier leur opposition au fichier "Edvige", afin qu’ils rejoignent le CNRBE et s’engagent à ses côtés. N’oublions pas qu’en janvier 2008, lorsque le Correso a lancé sa pétition nationale contre base élèves (plus de 27.600 signatures, plus quelques centaines sur papier), le bureau national de la Ligue des droits de l’homme décidait, le même jour, de lancer une autre pétition (près de 9000 signatures, plus un millier sur papier), signées par des syndicats nationaux comme le SNUipp [7]. Espérons que la convergence que l’on a vu s’opérer contre Edvige puisse effacer un temps certaines divergences d’appareils et profiter à la lutte contre tous les fichiers scolaires d’envergure nationale, BE1D dans le premier degrès et SCONET dans le secondaire.

Notes

[1Originaires notamment des départements du Lot, Aveyron, Isère, Ile-et-Vilaine, Finistère, Corse du Sud, Haute-Garonne, Rhône, Bouches-du-Rhône, Loir-et-Cher, Hérault, Drôme, Nord, Ain, Puy-de-Dôme, Vienne, Paris et Ile de France.

[2Le ministère a publié au JO du 1/11/2008 un arrêté daté du 20 octobre, « portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré », qui confirme donc la suppression des principaux champs litigieux dénoncés ici même depuis trois ans.

[3Lire aussi un autre compte rendu de la réunion du 8 novembre.

[4Lire aussi le compte-rendu d’une visite effectuée en juillet 2007 à Rennes par un émissaire des BBA

[5Lire aussi « Être (fiché) et avoir (3 ans) », CQFD, novembre 2008.

[6Lire le dernier point de LDH Toulon sur cette question : « Base élèves : attention à la Bnie qui se cache derrière ! », 17/11/2008.

[7Lire cette précision des sections de la LDH de Rennes et Toulon.