Les drônes ELSA et Quadri-France

Les entreprises Sirehna et Taser France sont concurrents mais ont le même objectif : banaliser l’usage de matériel de conception militaire pour contrôler et surveiller furtivement les populations civiles.

Le ministère de l’Intérieur s’est engagé à développer des engins légers de surveillance aérienne dans l’équipement de ce qu’il appelle des "commissariats du futur". Des expérimentations ont déjà eu lieu en Seine-Saint-Denis dans la plus grande opacité.

C’est dans cette brêche que se sont engouffrées des sociétés privées qui rivalisent d’innovations pour fournir à la police des moyens et des capacités militaires pour traquer des populations civiles et notamment toute trace de contestation.

D’abord la société Sirehna, basée à Nantes et dirigée par Jean-Pierre Le Goff, qui a remporté l’appel d’offres du ministère pour réaliser un prototype de drône "silencieux et quasi indétectable" — le projet ELSA (Engin Léger de Surveillance Aérienne). « Furtif et léger, il pèse moins d’un kilo, peut voler 45 minutes à 70 km/h, filmer de jour, comme de nuit, dans un rayon de 2 km, le tout étant, bien évidemment, géolocalisé. Son objectif affiché : surveiller les “zones urbaines sensibles” ou les manifestations. » [1]

Ensuite un personnage se distingue parmi les
apprentis sorciers de la surveillance électronique : Antoine Di Zazzo, le gérant de SMP Technologies, l’importateur du "pistolet à impulsions électriques" Taser X26, la fameuse arme "non-létale" (dixit le fabricant) qui alimente la polémique depuis que la police nationale en a fait l’acquisition en 2005 [2].

Il est en train de développer "Quadri-France", une petite "soucoupe volante électronique" qu’il espère voir débouler dans les arsenaux de la police des banlieues. Pour faire bonne figure, il avance des atouts nobles, comme la lutte contre les incendies, les prises d’otages ou la "recherche de personnes disparues". Mais finalement cet outil a les mêmes finalités : « Commandé depuis le plancher des vaches, l’appareil, parfaitement silencieux, balaie ses puissantes caméras thermiques à 360° pour repérer une variation de température de 5 degrés à 235 mètres de hauteur. "L’engin fournit aussitôt sa position GPS, zoome sur la source suspecte et transmet les images au central", explique Antoine Di Zazzo. (...) Il a la capacité de lire les plaques d’immatriculation pour optimiser la traque des chauffards. Ce redoutable mouchard, sensible à la moindre fumée, pourrait aussi survoler les cités en cas de violences urbaines. (...) Les concepteurs se rendront le 20 mai prochain dans le désert du Nevada, afin de mener des tests avec le Pentagone. Objectif : embarquer des poudres ou des gaz hilarants qui seraient largués sur des émeutiers... » [3].

Le drône de Di Zazzo pourra aussi embarquer à son bord des lanceurs de projectiles électroniques aux mêmes effets que le fameux pistolet taser. Prétendre régler les problèmes de quartiers en proie au soulèvement à coups de décharges électriques ? Non, Di Zazzo manie la novlangue à la perfection. Il décrit ce projectile comme une « camisole de force » (sic), et pense ainsi pouvoir passer « de l’ère du gourdin à l’ère électronique » : « d’ici 5 à 10 ans, on ne tuera plus de gens ». [4] Il sait aussi choisir ses amis : il fait la Une d’un récent numéro du dépliant publicitaire "Balthazar", et en pages intérieures on le voit tout sourire serrer la main d’un certain député du Vaucluse, Thierry Mariani.

Notes

[1Le Monde, 11.10.07, et Lemonde.fr, 17.10.07.

[2Pour rappel : Di Zazzo attaque en justice une modeste ONG, RAID-H, alors qu’elle n’a fait que relayer des accusations émanant, notamment, d’Amnesty International qui a souvent critiqué le Taser pour de pas être si "non létal" que ça. En revanche, aucune menace de procès contre Amnesty ni contre le Comité contre la torture de l’ONU qui considère cet engin comme « une forme de torture (...) de nature à violer les articles premier et 16 de la Convention ».

[3Cf "Une sentinelle du troisième type à l’essai dans le ciel", Le Figaro, 28 avril 2007. Il a été testé à nouveau à Reims, en février 2008 (AFP).

[4Admirable interview vérité accordée à LCI.fr