La juriste Louise Cadic est nominée au prix Voltaire pour avoir rédigé une demande officielle de saisine du Conseil Constitutionnel (CC) à propos de la Loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ), réclamant par là-même la possibilité pour les citoyens de saisir eux-mêmes le CC lorsque les politiques s’y refusent. Les parlementaires, de droite comme de gauche, s’étaient en effet entendus pour ne pas saisir le CC, malgré de forts soupçons d’anticonstitutionnalité.
http://www.lsijolie.net/article.php3?id_article=98
Sécurité, sur tous les murs, j’écris ton nom...
Nous entrons de plein pied dans une période d’obscurantisme répressif, marquée par des amalgames incessants entre jeunes, étrangers, musulmans et délinquants, sous le sceau du tout-sécuritaire, au détriment bien évident des libertés, dominée par la peur. Lorsqu’un Etat renonce à ses libertés, abandonne sa mission sociale, oublie toute distinction et toute distance, pour le veau d’or de la sécurité, ses citoyens peuvent effectivement commencer à s’inquiéter...
En cette époque de pré-campagne électorale, la sécurité vient d’être hissée au rang de droit fondamental, droit presque naturel que les parlementaires se font fort de garantir à tout citoyen. Les chiffres concernant la hausse de la délinquance sont affolants, notamment ceux relatifs à la délinquance des jeunes. Les policiers sont que de plus en plus la proie des délinquants et manifestent haut et fort leur mécontentement. Les terroristes viennent de frapper au coeur de l’Etat le plus intouchable que compte ce monde. La France a peur...
Le processus est en route, d’une guerre totale contre le terrorisme, d’une lutte sans limite ni merci pour la sécurité, d’une " tolérance zéro " de la délinquance pour reprendre l’expression chère à Monsieur Giuliani.
Les voix sont assourdissantes pour se féliciter de la nécessité, en ces temps troublés de terrorisme, de prendre des mesures exemplaires. Et il n’est pas très seyant de remettre en cause certaines de ces mesures, sans se féliciter au préalable de la valeur ou de la réalité des objectifs poursuivis. Et pourtant, pourtant...
Comment est-il possible de justifier, sous couvert de lutte contre la délinquance, et plus spécifiquement contre le terrorisme, des mesures plus que sécuritaires, portant une atteinte sans comparaison au respect de la vie privée, au respect du domicile, à notre droit à la sûreté (qu’on a trop tendance à confondre avec la sécurité !), à l’idée qu’on peut se faire d’un Etat de droit ?
La lecture de cette loi et le défaut, partagé quasiment universellement, de questionnement éthique du législateur lors du vote de celle-ci a coupé le souffle à plus d’un citoyen, le privant du même coup du seul moyen de se faire entendre. Conscients de la censure inévitable de certaines dispositions, les parlementaires ont affiché leur volonté de ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Une telle abstention réduit le peuple au silence. Au moins pour un moment.
Même au temps béni de la tendance sécuritaire, lorsque la loi sécurité et liberté était votée, le législateur avait cru bon de conserver la notion de liberté, proposant un équilibre, par ailleurs improbable et très critiqué entre ces deux notions. Vingt ans plus tard, la loi sur la sécurité quotidienne est frappée d’un lourd handicap : l’idée de liberté y fait cruellement défaut ; et pour cause ! Non satisfait de ce tour de passe-passe, le législateur, en soustrayant cette loi au contrôle du Conseil constitutionnel, assure le recul net et définitif de l’idée même de liberté.
Nous entrons, dès lors, de plein pied dans une période d’obscurantisme répressif, marquée par des amalgames incessants entre jeunes, étrangers, musulmans et délinquants, sous le sceau du tout-sécuritaire, au détriment bien évident des libertés, dominée par la peur. Lorsqu’un Etat renonce à ses libertés, abandonne sa mission sociale, oublie toute distinction et toute distance, pour le veau d’or de la sécurité, ses citoyens peuvent effectivement commencer à s’inquiéter.
Cette peur est aujourd’hui relayée par un certain nombre de citoyens. Mais ceux-ci n’ont pas choisi la voie de la peur ou du non-droit pour s’exprimer. Ils ont choisi la voie du droit tel qu’il devrait être, lorsque les pouvoirs de l’Etat défaillent : la saisine du Conseil constitutionnel par tout citoyen concerné par une loi portant potentiellement atteinte à ses droits et libertés fondamentaux. Nous vous invitons à venir porter, au Conseil constitutionnel, la saisine citoyenne concernant la loi sur la sécurité quotidienne.
Geste inutile diront certains, mais geste symbolique de refus de ces dérives de l’Etat de droit, qui au nom des valeurs qui justifient son existence, les sacrifie sur l’autel de la sécurité, et, par là-même, saborde ses propres fondements.