Jacques Lebrot, sous-préfet à la sécurité de Seine-St-Denis

Ce haut fonctionnaire a usé et abusé de son droit d’accès aux fichiers de police pour priver d’emploi plusieurs milliers de salariés, violant leur présomption d’innocence sur la base de pratiques clairement discriminatoires.

En deux ans, plus de 3500 salariés travaillant dans les zones sensibles de l’aéroport de Roissy ont perdu leur emploi car ils présentaient « un danger significatif pour la sûreté aéroportuaire ».

Ces exclusions arbitraires ont été prononcées sous le règne de Jacques Lebrot, désigné en mars 2003 par le ministre de l’intérieur "sous prefet délégué à la sécurité" sur les zones aéroportuaires de Seine-St-Denis (Roissy et Le Bourget), et placé sous l’autorité du prefet du 93 Michel Sappin.

Comme l’ont dénoncé en bloc, courant décembre, plusieurs organisations [1], ces décisions préfectorales s’appuient sur la consultation abusive et incontrôlée des fichiers de police judiciaire (STIC et Judex). Consultation "à des fins d’enquêtes administratives", procédure autorisée depuis le vote des lois sécuritaires de Nicolas Sarkozy.

Le rôle de M. Lebrot [2]
dans cette discrimination à grande échelle a été démontré dans le cadre de plusieurs procès intentés devant le tribunal administratif, à l’automne 2006 par 72 de ces salariés qui ont perdu leur travail suite à la perte de leur "habilitation" à pouvoir circuler dans les zones "réservées" de Roissy.

Le représentant de l’Etat à Roissy dispose d’un « droit de vie ou de mort sur les salariés », dénonce un syndicaliste. « Notre seul recours, c’est d’aller pleurer devant lui », confie un autre. « Si je me brouille avec Lebrot, la prochaine fois que je le vois pour un gars, il ne me rendra pas son badge », déplore un troisième. [3]

Selon un syndicat, le prefet en personne a justifié ces mesures en indiquant que c’était au suspect de prouver qu’il n’était pas dangereux :

(...) "Depuis un mois des dizaines de salarés de confession musulmane sont avertis de l’abrogation de leur titre d’accès en zone réservée et sont en situation de perdre trés rapidement leurs emplois, sans préavis ni indemnité. Aucun fait précis ne leur a été communiqué qui puisse justifier cette décision préfectorale. On peut en déduire que ces décisions sont fondées uniquement sur des pratiques religieuses. Le préfet de Seine-Saint-Denis invoque seulement que ces salariés présenteraient un risque de « vulnérabilité ou de dangerosité » pour la plate-forme aéroportuaire, sans aucune preuve. Bien au contraire, celui-ci motive sa décision en considérant que c’est au salarié « d’apporter la preuve d’un comportement insusceptible de porter atteinte à la sûreté aéroportuaire. »
 [4]

Notes

[1Appel des organisations CGT, UGICT-CGT, CFDT, CFTC, SUD Aérien, La Ligue des droits de l’Homme, le MRAP, RESF, 13/12/2006.

[2Quelques mois après sa nomination en 2003, Jacques Lebrot osait écrire une tribune : "La première des missions qui me sont confiées relève de la sécurité et de la sûreté. C’est en effet, me semble-t-il, à partir de cela que l’on peut se tourner ensuite vers l’activité économique et l’emploi. Je ne suis pas un homme de bureau car, par goût et par expérience, je sais que seul le terrain permet de comprendre les problèmes et de proposer puis d’arrêter des solutions. (...) Je voudrais terminer en adressant un message à tous les chefs d’entreprises avec lesquels je vais avoir à travailler en partenaire attentif : vous avez un devoir envers les jeunes qui cherchent un premier emploi ; ne leur demandez pas d’avoir de l’expérience, ils débutent. Par contre, en leur donnant une chance, vous investissez pour votre avenir ! (SIC)". Cf revue Liaisons, juin 2003 - document PDF.

[3Cf article de Libération, "Ordre moral à l’aéroport", 10/11/2006. Suite : "Les habilitations sont délivrées maintenant par un sous-préfet, Jacques Lebrot, affecté spécialement à l’aéroport, après un épluchage des fichiers de la police (Stic), de la gendarmerie (Judex), de la DST, des RG, ainsi que du FPR (fichier des personnes recherchées). Une simple mention dans l’une de ces bases de données entraîne une suspension automatique du badge. Pas d’accès, pas de boulot. (...) Son pouvoir s’exerce bien au-delà des seules questions de sécurité. L’an dernier, le sous-préfet a réquisitionné les grévistes d’une société de bagagistes, CBS. « Les gendarmes nous ont obligés un par un à signer un PV reconnaissant que notre action était illicite », raconte Mourad. Ils ont obtempéré aussi par peur de perdre leur précieux sésame. (...) Au cours des dernières années, les contrôles se sont multipliés. Les interdits aussi. Notamment à l’encontre des musulmans pratiquants. Après le livre de Villiers dénonçant les « mosquées de Roissy », la direction de CBS a fait retirer les deux tapis de prière des vestiaires. « Un gendarme est passé sur les tapis et a vu un mec avec une barbe, se souvient Danièle. Il lui a dit : "Demain tu l’as plus !" »

[4Déclaration de l’Union locale CGT de Roissy Charles-de-Gaulle, 20 octobre 2006.