Inflation du fichage policier : l’énorme hypocrisie

Deux décrets du 18 octobre ont donc donné naissance aux nouveaux fichiers des ex-Renseignements généraux, qui remplacent le funeste fichier EDVIGE, abandonné l’an dernier par le gouvernement sous la pression de la société civile et du collectif Non à EDVIGE.

L’un est destiné à la "prévention des atteintes à la sécurité publique" (PASP), et l’autre devra nourrir des "enquêtes administratives liées à la sécurité publique" (EASP).

Ces fichiers sont tout aussi scandaleux qu’EDVIGE :

 PASP cible toujours des personnes "susceptibles" de commettre un délit, atteinte flagrante à la présomption d’innocence ;
 par "dérogation", leurs "activités" politiques, syndicales ou religieuses, y compris leurs "déplacements", en feront toujours partie (avant il s’agissait de "comportements", nuance insignifiante) ;
 les mineurs de 13 ans restent concernés sans réel aménagement particulier ;
 il sera toujours aussi long et difficile d’exercer son droit d’accès ;
 l’ajout de critères "géographiques" — détaillé dans une circulaire encore confidentielle — est un moyen fallacieux de contourner l’interdiction d’enregistrer des éléments ethno-raciaux, et risque d’aggraver la stigmatisation de certaines zones urbaines ou quartiers périphériques.
 le nombre d’items prévus est beaucoup plus large que ceux de l’ancien fichier des RG (ajoutant "adresses électroniques", "agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale"), sans oublier de fichier l’entourage : "personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l’intéressé".
 la création d’EASP pour les besoins d’enquêtes de moralité vont produire les mêmes effets secondaires que le STIC ; près d’un million de personnes en France sont concernés par les erreurs de fichage et les mises à jour inexistantes (source : CNIL).

Soulignons également une durée de conservation quasi indéfinie, puisque l’article 4 du décret PASP précise que les données « ne peuvent être conservées plus de dix ans après l’intervention du dernier événement (...) ayant donné lieu à un enregistrement », ce qui conduira de facto à conserver l’intégralité des faits de certains militants sur 20 ou 30 ans. La même formulation appliquée aux mineurs, qui bénéficieraient d’un "droit à l’oubli automatique" « trois ans après l’intervention du dernier événement (...) », apparait dès lors comme une mascarade.

Enfin, ces deux soeurs jumelles d’EDVIGE cachent encore l’ombre de CRISTINA ("Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux"), le fichier de l’ex-DST qui n’a jamais été retiré de la circulation, qui reste toujours confidentiel, y compris pour le Conseil d’Etat, puisqu’il a réclamé une copie du document cet été (lire l’arrêt du 31 juillet), suite au recours formé par les associations du collectif Non a Edvige.

Privacy France tient aussi à rappeler trois points récurrents sur ce type de dossier : l’inflation des fichiers policiers ; le leurre du "contrôle" de la CNIL ; et les absences du Parlement.

 Jamais le nombre de fichiers policiers n’a été aussi important dans notre pays : il y en avait déjà 58 de recensés en 2009, soit + 70% en trois ans [1] — ça fait donc 60 avec PASP et EASP. Une telle inflation repose aussi sur une énorme hypocrisie : alors que la petite délinquance est traitée à coup de peines plancher et que la moindre "incivilité" est réprimée, la plupart — un quart environ — de ces fichiers ont bénéficié d’une "dérogation" afin de rester dans... l’illégalité jusqu’à fin 2010.
 Privacy France déplore une nouvelle fois l’absence de réels contre-pouvoirs effectifs comme préalable à l’instauration de fichiers à vocation policière. Tant que la seule autorité administrative autorisée, la CNIL — qui a rendu un avis "consultatif" le 11 juin, mais publié le 18 octobre avec les décrets —, dont les membres sont toujours nommés par l’Etat, ne bénéficiera pas de pouvoirs concrets pour réellement s’opposer aux projets gouvernementaux, les concerts de réprobation qui résonnent régulièrement autour du fichage policier n’auront aucun effet propre à garantir les principes fondamentaux d’un Etat de droit.
 Enfin, si le recours à des décrets, plutôt qu’à la loi, traduit une nouvelle fois un manque de courage politique du gouvernement et du président de la République, le recours au Parlement, surtout dans ce domaine, n’est pas une garantie pour le respect des libertés publiques. Ainsi, la proposition de loi [2] des députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP) — ce dernier déjà distingué par les BBA France —, était très loin d’être mieux-disante en terme de respect des libertés, comme le collectif Non à Edvige l’a clairement expliqué en juin 2009. Ceux qui réclament aujourd’hui le retrait des deux décrets pour être remplacés par ce texte PS-UMP, devraient savoir que ce n’est nullement la garantie ultime d’un plus grand contrôle démocratique.

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Privacy France, association loi 1901 affiliée à Privacy International, assure l’organisation des Big Brother Awards en France.

A lire aussi pour lieux comprendre :
- Communiqué de Non à Edvige, 20 octobre 2009.
 Communiqué commun du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France (20 octobre) : EDVIGE, le retour : c’est toujours NON !
 Remplacer EDVIGE, éviter EDVIRSP : fichiers de prévention de la sécurité publique...
 Adieu Edvige, bonjour Edwige².

Dans nos archives :
- Edvige et Cristina même combat (9 septembre 2008).
 Fichiers policiers : « jurisprudence Rebelle » pour tous les citoyens ! (27 février 2007).