Le 7 février, France 2 a diffusé dans le cadre de son émission de reportage "Envoyé spécial" un document de 52 minutes intitulé : "Expulsion, mode d’emploi". Une sorte de reportage "embedded", comme on dit en Irak. Où les situations de tournage sont autorisées, au grand risque d’être orientées, par les promoteurs de cette politique.
Au lancement, les deux présentatrices Françoise Joly et Guilaine Chenu donnent le ton :
"Nous avons voulu comprendre comment fonctionne ce dispositif qui engage des policiers, des juges et des agents administratifs... et beaucoup de portes se sont ouvertes pour nos caméras, vous aller voir : nous sommes sur le quai d'une gare quand on arrête les clandestins, dans le huis clos d'un bureau lorsque leur situation est examinée, dans un centre de rétention, au tribunal pour un dernier recours et enfin et c'est par cela que nous allons commencer, sur la passerelle de l'avion lorsque les sans-papiers sont reconduits dans leur pays. Vous aller le voir c'est un document EX-CEP-TION-NEL. Un reportage inédit avec des séquences et des images rares..."
Pas un mot d’avertissement sur ce qui fait la singularité de ce document : celui d’être filmé du point de vue des auxiliaires de police, orienté en fonction de situations triées par les services de communication du gouvernement.
En détail :
– Pas de mise en perspective historique et politique de la question, notamment au sujet des quotas pourtant au centre de tout le dispositif policier et judiciaire que prétend décrire le reportage. Question évacuée d’un simple mot par un policier en civil au cours d’une arrestation gare Saint-Lazare à Paris, qui dira (visage masqué) : "Non non, on n’a pas de pression, on n’a pas de chiffres, on n’a pas de chiffres butoirs"...
– Un "reportage" qui incontestablement donne raison sur la forme comme sur le fond à la politique décidée par le gouvernement.
– Seule personne "extérieure" (si l’on peut dire...) à ces expulsions à être interviewée : le ministre Brice Hortefeux.
– Les fonctionnaires sont systématiquement polis, humains voir humanistes.
– Aucune interpellation musclée dans ce reportage qui montre des arrestations au cours de contrôles d’identité dans une gare, mais pas d’arrestations à la maison, à la sortie de l’école ou sous forme de rafles dans la rue. La journaliste a reconnu en fin de sujet avoir demandé à filmer des arrestations "à domicile". "Refus catégorique".
– Les centres de rétention sont présentés comme paisibles, et les sans-papiers comme fourbes ou excités.
– Une scène se passe au centre de rétention de Vincennes, mais aucun commentaire n’a été ajouté au montage sur les récentes mutineries [1] [2].
– L’équipe montre plusieurs départs en avion sous escorte policière, mais oublie de citer les morts par étouffement et la répression judiciaire sur les passagers qui s’opposent à ces expulsions [3].
La novlangue des journalistes de France 2, Agnès Vahramian et Romain Potocki, en plus de s’accommoder parfaitement des conditions de tournage, c’est aussi de faire croire qu’on donne la parole aux "clandestins" quand avec le courage digne d’un reporter de guerre on tend un micro à un homme ceinturé par 4 policiers dans la camionnette qui l’amène à l’avion pour lui demander : "Comment vous les avez trouvés, les policiers ?" Et d’être satisfait de sa réponse quand l’expulsé, incapable de contrôler le mouvement de ces mains, dit : "Ils sont sympas".
A l’issu du reportage, la "grand reporter" Agnès Vahramian viendra expliquer comment c’est déroulé le tournage. Elle dira avec une bonne foi qui frise le lapsus :
"Les administrations on accepté (de nous ouvrir les portes) parce que nous avons expliqué que nous voulions faire de la pédagogie (sic) et pour le ministère de l'Immigration, pris dans une polémique à ce moment-là, c'était l'occasion de monter que le processus est complexe (resic), qu'il est lourd (...) et que, sans doute, c'était l'occasion de désamorcer (...) la polémique".
De nombreuses réclamations ont été adressées au médiateur de la chaine [4]
Le samedi 16/2, le 1/4 d’heure de l’émission "L’hebdo du médiateur" a été consacré à ce reportage, une caricature de débat. Deux invités : une téléspectatrice n’ayant pas vu le reportage, mais uniquement les 2 minutes d’extrait promotionnel diffusées dans le JT du soir ; et l’autre téléspectateur invité en duplex, qui a été comme démasqué à la fin comme membre d’une association (Emmaüs), pour souligner son parti pris. Ils ont eu tous les deux autant de temps de parole que la journaliste.