Espionnage des employés chez Carrefour

Caméras cachées, filatures filmés, intimidations sous surveillance : les employés de plusieurs centres commerciaux Carrefour ont été espionnés (ou le sont encore) par des procédés complètement illégaux

Dans l’émission Pièces à convictions du 20/01/2006 sur France 3, comme dans l’Humanité du même jour, grands déballages sur les méthodes de flicage au sein du groupe Carrefour.

Deux ex-employés d’un sous-traitant (Prestige) racontent qu’ils ont été chargé de basses besognes non pas pour prévenir les "fraudes à la clientèle", mais pour fliquer, humilier, confondre et licencier des salariés du groupe. Les faits se sont déroulé à Ecully (banlieue de Lyon), mais aussi à Reims, dans le sud de la France (Nice) et en banlieue parisienne.

L’Huma : "À visage découvert, Régis Serange, trente-six ans, témoigne aujourd’hui. "Officiellement, mon boulot consiste à éviter les fraudes de la clientèle. Mais, très vite, je fais mes preuves et je suis intégré dans l’équipe "prévol" du magasin [surveillance en civil - NDLR]. Je me sais surveillé par le chef de la sécurité mais j’arrive à gagner sa confiance. Dès lors, il me met dans les confidences de certains agissements de "surveillance particulière" du personnel. Le cercle vicieux est lancé, cela va durer jusqu’à janvier 2004."

"Un jour, mon chef me prend à part et me glisse que, si j’accepte de rendre quelques petits services, j’ai de l’avenir chez Carrefour en tant que cadre. J’accepte. En juin 2002, ma première mission est une infiltration dans un hypermarché du groupe à Reims pour détecter un éventuel trafic de détournement de marchandises. Pendant un mois et demi, en "sous-marin", je pose des caméras cachées et des micros un peu partout. (...) Résultat, une vingtaine de mises en examen au sein du personnel et de l’encadrement complice. (...) La méthode d’investigation était quand même loin d’être la meilleure, je ne suis pas officier de police. Mais mes responsables me rassurent : "T’inquiète, on est chez nous, on fait ce qu’on veut". »

« Suite à cela, je rentre à Écully, espérant que ce succès sera couronné par mon embauche officielle. En vain... (...) On me propose dans la foulée une nouvelle mission sur le magasin de L’Isle-d’Abeau, en Isère, en août 2002. Objectif, remplacer le chef de sécurité parti en vacances (...). En plus des caméras cachées, on me demande de dégager un responsable de la sécurité externe pour "délit de sale gueule". »

« Les caméras cachées, c’est une pratique très courante au niveau national. Une grosse partie du travail des agents de sécurité, c’est la surveillance du personnel, non des clients. Et pour la surveillance, tous les moyens sont bons : il n’y a aucune limite temporelle ou financière. On ne badine pas pour faire installer le dimanche après-midi 200 mètres de câbles pour relier de nouvelles caméras. De chef à chef, ils se refilent les infos pour savoir où acheter le matériel. Que cela soit clair, ces caméras sont uniquement destinées à surveiller le personnel et à faire tomber un maximum de gens. Toutes les semaines, les chefs de sécurité s’envoient leur palmarès. Il y a des documents type à renvoyer au directeur régional tous les lundis matins. Après, un classement est organisé par magasin : cela peut s’accompagner de primes de 10 % par mois. Pour quelqu’un qui est au smic, comme le sont les agents de sécurité, ça arrondit vraiment les fins de mois. »

« Caméras et micros dissimulés jusque dans des portables, des lampes ou même les toilettes... Planques dans des cartons de la réserve... Il y a même des écoutes téléphoniques. À Écully, par exemple, je sais que la CGT est constamment écoutée : il y a une caméra et un micro dans le local syndical. Sur Paris, à l’hypermarché de Belle-Épine, une vingtaine de caméras cachées sont installées en plus de la centaine de caméras autorisées. Mais on ne surveille pas le personnel que dans le magasin. Pour faire tomber un cadre, on rentre dans sa vie personnelle. Qui fait quoi ? Qui couche avec qui ? Qu’est-ce qu’il boit et combien ? On enquête aussi sur les comptes bancaires. En mai 2003, sur Écully, j’ai eu à "m’occuper" du chef du rayon décoration. Il était en arrêt maladie pour dépression. On m’a demandé de le suivre pour connaître ses heures de sortie, s’il avait éventuellement un petit job au noir à côté. Dans quel - établissement il - allait, - combien de verres il buvait. "S’il en boit six, tu en marques huit"... Il avait un ancien contrat, il coûtait trop cher... Il a été licencié et a tout perdu. Il a fini en psychiatrie. Je l’ai retrouvé, je lui ai fait une attestation en mea culpa pour qu’il puisse, s’il le souhaite, porter plainte contre moi. J’assume, mais il faut que Carrefour lui paie tout ce qu’ils lui ont fait subir. »