Le groupe de contrôle des fichiers policiers

Sous couvert de "contrôler" les fichiers policiers, ce "groupe" créé de toutes pièces par l’Etat et présidé par Alain Bauer veut en améliorer l’"acceptabilité", mais vise aussi à neutraliser la CNIL qui avait été créée pour les encadrer

Présidé par Alain Bauer, Président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, et précédent lauréat d’un Prix Orwell pour l’ensemble de son oeuvre, en 2002, le « Groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie » a été créé pour témoigner de l’attention que porte le ministère de l’Intérieur à la question du fichage policier, notamment au regard des problèmes qu’il peut poser.

En 2006, son premier rapport, intitulé “Fichiers de police et de gendarmerie : comment améliorer leur contrôle et leur gestion ?”, avait répertorié 36 fichiers, et reconnaissait que plusieurs d’entre-eux étaient hors la loi (au titre de la nouvelle loi informatique et libertés, adoptée en 2004, les fichiers dits "de sûreté" disposent d’un délai courant jusqu’en octobre 2010 pour se mettre en conformité avec la loi), et qu’il convenait d’y remédier.

Son nouveau rapport, écrit en catastrophe pour répondre à l’inquiétude légitime suscitée par EDVIGE et CRISTINA, intitulé “Mieux contrôler la mise en oeuvre des dispositifs pour mieux protéger les libertés”, dénombre aujourd’hui 45 fichiers, soit une augmentation de 25% en deux ans, certains de ces nouveaux fichiers étant eux aussi “hors la loi”.

Pire : en annexe de ce rapport, le groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie a “balancé”, en “exemple”, un extrait de fichier policier révélant les noms et coordonnées d’un “suspect”. C’est faire peu de cas de la présomption d’innocence, et de la loi informatique et libertés, et celà témoigne de la façon toute particulière qu’a le ministère de l’Intérieur, et le groupe de contrôle des fichiers, de “Mieux contrôler la mise en oeuvre des dispositifs pour mieux protéger les libertés”.

De plus, la composition du groupe de contrôle est elle aussi sujette à caution comme le soulignait le Syndicat de la magistrature. Celui-ci a décidé de se retirer du groupe de travail dans lequel il avait été "invité" à siéger, du fait de “la place très minoritaire de la « société civile » au sein de ce groupe (c’est-à-dire des personnes ne faisant partie ni de la police ni de la gendarmerie) dont le regard critique et la marge de manoeuvre à l’égard du gouvernement apparaissent quasiment nuls”. [1].

Enfin, certaines des propositions du groupe de contrôle ont de quoi étonner :
 Il propose en effet d’“institutionnaliser le groupe de contrôle”, au motif que “les débats suscités par EDVIGE ont montré à quel point la question des fichiers de police et de gendarmerie était particulièrement sensible”. Or, c’est précisément ce pourquoi la CNIL avait été créé...
 Sous couvert de “contrôler” ces fichiers ("autocontrôle" serait plus juste), le groupe de travail prône explicitement leur “acceptabilité” : “en vue de lutter contre les idées fausses et de renforcer l’acceptabilité de fichiers au sein de la population, une campagne d’information pédagogique visant le grand public, en particulier les jeunes”, grâce à un site web proposant entre autres “un jeu de simulation permettant de prendre virtuellement les commandes d’un fichier de police”.
 Il préconise également une procédure de déclaration “simplifiée” des fichiers policiers, afin de mettre fin à “une situation trop fréquente, mais parfois inévitable, de mise en place d’un traitement sans aucun cadre juridique” (sic).

P.-S.

 Les deux rapports du groupe d’Alain Bauer sont à éplucher à la Documentation française : celui de décembre 2006, et celui de décembre 2008 publié en pleine affaire EDVIGE.

 Complément : le regard critique et impuissant de la CNIL, rapport de janvier 2009.

Notes

[1On y recense en effet 4 représentants du ministère de l’Intérieur (plus deux autres aux titres de secrétaire général et de rapporteur), 1 du ministère de la Justice, 3 syndicalistes policiers, 3 représentants des avocats, 2 des syndicats de magistrats, 3 d’organisations de défense des droits de l’homme, un représentant de la CNIL, de la Halde, du CNCDH et du médiateur de la République, et un journaliste (du Figaro).