Le procureur et chef du parquet de Paris Jean-Pierre DINTILHAC et le juge BRUGUIERES ont le pouvoir d’autoriser une écoute téléphonique dans l’ordre judiciaire. Il ont sciemment, et ce à plusieurs reprises entre janvier 2001 et juillet 2002, dérogé à la règle en vigueur dans la magistrature, c’est à dire d’exclure du champs des écoutes les professions garantes de la liberté d’expression et du droit de la défense, les avocats et les journalistes.
Bilan des courses en 2001 (1) :
Au moins trois avocats et six journalistes ont été surveillées en 2001 dans des enquêtes pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ces procédures visaient directement François Santoni, le chef présumé du mouvement clandestin Armata corsa, dont l’interpellation était prévue le 26 août 2001. Il a été assassiné le 17 août, sans que les écoutes des journalistes aient fait notablement avancer l’enquête. Ces écoutes judiciaires ont été demandées pour l’essentiel par Jean-Louis Bruguière, premier vice-président chargé de l’instruction.
– Le téléphone cellulaire de François Santoni est déjà sur écoutes depuis quelques mois, mais la division nationale antiterroriste (DNAT) estime alors nécessaire d’écouter à Paris le poste de sa compagne avocate (...) sur le poste fixe de l’appartement du couple du 19 janvier au 18 mai 2001, puis jusqu’à l’été sur le portable de (l’avocate) ;
– Dans la foulée, il autorise, du 26 janvier au 25 mai, l’écoute du mobile de l’avocat de François Santoni, Me Pascal Garbarini ;
– Les interlocuteurs de Santoni sont nombreux dans la presse : AFP, Gamma, Libération, Le Monde, Le Parisien, France-Soir, Nouvel Obs, L’Express, Radio France Corse, Amnistia.net...
– Les policiers vont placer sur écoute : un photographe de Gamma (dès le 1er novembre 2000) comme le portable de son épouse rédactrice en chef à France 2 ; portable et ligne fixe d’une journaliste de Paris-Match (à partir du 22 janvier 2001) ; l’un des anciens otages du Liban, journaliste indépendant au Figaro Magazine et à TF1 (même période) ; un journaliste de France-Soir et du Figaro (du 26 janvier au 2 mars 2001), ligne privée et portable (sa compagne est avocate et corse) ; Guy Benhamou, ancien journaliste de Libération (du 25 janvier au 29 mars 2001).
Le Monde est revenu sur le sujet en juillet 2002 (2) pour raconter comment cette pratique s’est poursuivie notamment lors de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. DINTILHAC ne s’est par exemple pas opposé à écouter un journaliste de l’Est républicain pendant plus de trois mois, selon "les procès-verbaux d’écoutes téléphoniques effectuées en avril 2002 et reconduite jusqu’au 11 juillet". Parmi ses interlocuteurs il y avait un avocat et futur ministre, et non des moindres : Patrick DEVEDJAN, à l’époque porte-parole du RPR (en pleine campagne..) et depuis le mois de mai secrétaire d’Etat aux "Libertés locales"...).
Extraits du dialogue du papier du Monde :
"(...) Alors que certains procès-verbaux explorant la vie privée de journalistes avaient été annexés par le juge au dossier de l’enquête Erignac, cette conversation n’a, semble-t-il, pas fait l’objet d’un procès-verbal, mais d’une simple retranscription, sur papier libre, à l’usage des policiers. Pourquoi cette différence de traitement ? Est-ce parce que Laïd Sammari évoque dans sa conversation téléphonique la vie privée de Roger Marion ? Les deux correspondants s’étaient de toute façon assez vite censurés eux-mêmes. « Tu me raconteras ça (...), pas au téléphone, parce qu’il paraît qu’on est sur écoutes, toi et moi », coupe l’avocat quelques secondes après que le sujet eut été lancé. « Ah bon ? », lâche laconiquement le journaliste. « Je plaisante », répond l’avocat."