Les services municipaux de Tranquillité Publique

Une vieille notion remise au goût du jour par les municipalités.

Depuis maintenant 3 ans, les services de "tranquillité publique" se sont multipliés et on ne compte plus de petite ville ou grande agglomération qui n’ait le sien, sous le patronage du Ministère de l’Intérieur [1].

La tranquillité publique est une notion originellement religieuse, qui dans les textes du 16ème siècle, définit le "repos public" des "cytadins croyants" du royaume de France [2]. Les hérétiques sont désignés comme les perturbateurs contre lesquels "il est bon et louable d’employer le bras séculier du pouvoir des Souverains à maintenir le repos public"[3].

Avec la séparation de l’église et de l’état, les semeurs de trouble à la tranquillité publique, sont désignés dans les textes officiels comme les séditieux, mutins et les délinquants : les ennemis de l’ordre d’un point de vue aussi bien politique que policier. [4] et [5]

En 1856, le philosophe italien Cesare Beccaria bouleverse les systèmes judiciaires européens en introduisant la proportion des peines des délits dans son ouvrage "Des Peines et des Délits". Un des chapitres s’intitule "des délits qui troublent la tranquillité publique" définis comme "le tumulte de gens qui se battent dans la voie publique, destinée au passage des citoyens et au commerce" ou encore "les discours fanatiques qui excitent aisément les passions d’une populace curieuse".[6]

Dès lors, le terme de tranquillité publique désignera dans les textes de lois, les prérogatives des services policiers, chargés de rétablir l’Ordre Public, défini comme suit : " le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique". Ainsi en 1936, la tranquillité publique relève de la police administrative chargée de veiller au repos des habitants, puis de la police municipale, aujourd’hui en charge de réprimer les atteintes "à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique". [7]

Si le terme a une longue existence légale dans les textes, son utilisation est restée très marginale jusqu’en 2006. En 2002, Alain Juppé crée la polémique avec un arrêté municipal anti-bivouac à Bordeaux où il cible les "rassemblements d’individus pouvant troubler la tranquillité publique"[8]. On retrouve surtout la tranquillité publique dans les textes d’analyse produits par les think tanks institutionnels comme l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité [9] ou l’Institut d’Aménagement Urbain d’Île de France [10]. En 2006 c’est Villepin qui la sort de son anonymat[11] en appelant à la constitution d’une "police de tranquillité publique". Quelques villes, comme Nantes depuis 2001, se dotent d’adjoints à la tranquillité publique et les politiques de droite comme de gauche appellent de leurs vœux des "pactes de tranquillité publique"[12]; une thèse de sciences politiques soutenue en 2003 à Rennes[13]évoquait la "réactivation d’un rôle politique" du Maire comme "garant de la tranquillité publique"; C’est une réalité qui, à défaut d’être encore instituée législativement[14], est déjà actée par bien des Maires qui utilisent la tranquillité publique à toutes les sauces[15], pour désigner le maintien de l’ordre par les forces de police. Un néologisme paisible qui dissimule des réalités policières parfois violemment contradictoires : très récemment, le 3 juin 2013, un agent de tranquillité publique était accusé d’avoir malmené un journaliste dans la ville de Montreuil [16], un comble pour un garant de la "tranquillité" ...

[1] Guide sur la médiation sociale en matière de tranquillité publique
[2] La troisieme requeste presentee au Roy, par les deputez des Eglises esparces army le royaume de France (Dans cette requête au Roi Charles IX, les églises réformées de France plaident leur cause en assurant qu’elles ne nuiront pas à la Tranquillité publique du royaume)
[3] Œuvres diverses de Pierre Bayle, 1727, d’après les Paroles de St Augustin.
[4] En 1789, une motion d’un citoyen appelant à la tranquillité publique au sein de l’Assemblée Nationale par la suspension d’assemblées qu’il désigne comme séditieuses.
[5] En 1791, sont ainsi institués 24 Officiers de Paix "chargés de veiller à la tranquillité publique, de se porter dans les endroits où elle sera troublée, d’arrêter les délinquants et de les conduire devant le Juge de paix".
[6] Des délits et des peines (Nouvelle édition, précédée d’une introduction...) / par Beccaria
[7] Code général des collectivités territoriales - Article L2212-2
[8] Alain Juppé maintient son arrêté "anti-bivouac"
[9] Cahier de la Sécurité n°39 "De la prévention sociale à la Tranquillité publique"
[10] Rapport : "Sécurité et tranquillité publique en Ile de France : métiers, acteurs, besoins en formation"
[11] Dominique de Villepin plaide pour "une police de tranquilité publique"
12] Sécurité : Montebourg veut un « pacte de tranquillité publique » et PARTI SOCIALISTE - INTERVIEW - Rebsamen : "Il faut un pacte de tranquillité publique"
[13] http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/salontez4/txt04/rtlegoff.pdf
[14] Rapport au Sénat de Jean-Paul Dellevoye : http://www.senat.fr/rap/l97-455/l97-4552.html#toc8
[15] http://www.weka.fr/glossaire/tranquillite-publique
[16] http://www.rue89.com/zapnet/2013/06/03/montreuil-laltercation-entre-journaliste-tranquilite-publique-242938