Le ministère de la Culture et de la communication

Pour sa volonté de restreindre, depuis des années, les droits fondamentaux des internautes, et pour favoriser une poignée d’industriels qui cherchent à protéger leurs intérêts en se reposant exclusivement sur la surveillance et le contrôle technique des utilisateurs

Résumé

Depuis des années, le ministère de la Culture et de la Communication multiplie les projets visant à limiter les échanges non autorisés de musique et de films sur internet pour favoriser une poignée d’industriels accrochés à leurs privilèges. Ces projets sont systématiquement attentatoires aux libertés et reposent exclusivement sur la surveillance et le contrôle technique. Nombre d’entre eux sont devenus des lois ou des décrets. Pour les faire adopter le ministère va jusqu’à invoquer la protection de l’enfance, et à assimiler explicitement le téléchargement à un crime et les internautes partageurs à des terroristes ou à des insectes nuisibles.

Cet extrémisme est logique puisque dans ce ministère se succèdent sans discontinuer des haut-fonctionnaires qui s’en servent comme tremplin pour se faire une place au chaud dans le privé et/ou une retraite confortable [1] En matière de droit et d’internet, ils suivent donc à la lettre les consignes qui leur sont donnés par les lobbyistes de Vivendi, de la SACEM, de Gaumont, etc..., quitte à planter leur ministre dans le mur, à ridiculiser la France, et à violer des droits fondamentaux.

Faits

 Loi DADVSI, en 2006 : est apparu au grand jour une volonté d’imposer aux internautes français des mouchards, d’interdire les logiciels libres de lecture multimedia et d’échange P2P, d’interdire la copie privée et de mettre en place une police privée du net, mesures qui ont été pour certaines adoptées, non sans que le ministère ait dû piétiné les parlementaires [2].
 Les débats sur la directive EUCD, qu’a transposé à l’extrême la DADVSI, avait déjà donné un avant-goût : les services de Catherine Tasca, aux ordres de la SACEM, militaient déjà pour que la directive de 2001 soit plus dure qu’elle ne le fut : elle n’interdisait pas la copie privée ce que souhaitait la France. Et il en va de même pour les traités internationaux de 1996.
 Examen du projet de loi LCEN, 2004 : intervention du ministère en vue de permettre à des sociétés privées de faire elle même la police sur internet (modification de l’article 30 de la loi Informatique et Libertés).
 Comme toute répression est accompagné de propagande, n’oublions pas non plus, en 2005, l’assimiliation sur le site du ministère de la copie de CD au terrorisme, ou encore le site lestelechargements.com où les internautes étaient assimilés à des essaims de sauterelles dans un film au grain très années 30 [3].
 Idem fin 2007 ("loi Fourtou") : le ministère est intervenu, d’une part, pour permettre l’utilisation contre les internautes de mesures préventives prévues pour les contrefacteurs industriels, d’autre part, légaliser les pratiques illégales de l’Association pour la lutte contre la piraterie. Là aussi le ministère a amené la France à aller plus loin que des directives déjà particulièrement contestables.
 2007/2008 : l’avant-projet de loi dit "Olivennes", pur produit franco-français, qui propose notamment d’autoriser les agents d’une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de lutter contre le téléchargement à accéder aux données de connexion sans contrôle de l’autorité judiciaire, ce qui revient à étendre les mesures temporaires d’exception prévues pour la lutte contre le terrorisme à de la lutte contre le téléchargement ! [4]. Cette AAI, si elle voyait le jour, pourrait ainsi décrêter une surveillance administrative sur saisine d’acteurs privés, puis couper l’accès internet sur la base des données collectées, sans en référer à l’autorité judiciaire, ni même devoir entendre l’accusé qui en ferait la demande. L’avant-projet prévoit aussi que l’État fixera une liste de dispositifs de filtrage que l’internaute devra installer pour sa sécurité juridique.
 Ajoutons à cela la récente annonce par la ministre de la culture d’une extension à internet des pouvoirs du CSA, d’un filtrage par les FAI et les moteurs de recherche de sites légaux mais se livrant à « des errements manifestes », et, à l’inverse, d’un suréférencement des sites ayant été labellisés « de confiance » par une commission administrative édictant des règles de déontologie. L’ordre moral est de retour.

Alors certes, les ministres qui se succèdent sont responsables et coupables, tout comme les élus qui votent les lois. Mais ils sont aussi et surtout manipulés par une poignée de haut-fonctionnaires souvent incrustés pendant des années, et qui copinent sans gène avec leurs anciens/futurs collègues. [5]

Cette énarchie profite donc de la complaisance et de l’incompétence du politique pour satisfaire les exigences les plus extrémistes de lobbyistes des industries culturelles, dans son propre intérêt. Les lobbies, notons-le, sont une institution du ministère, au sens strict : ils ont table ouverte pour rédiger les projets de loi via le Conseil Supérieur Littéraire et Artistique. [6]

Conclusion

Le ministère de la culture et de la communication, institution de la République gangrénée par les conflits d’intérêts, produit depuis des années mesures liberticides sur mesures liberticides, souvent inapplicables, toujours inacceptables. Ce ministère, qui devrait être renommé « ministère des industries culturelles », relaie également sans faiblir la propagande de sociétés privées qui le contrôle, véritables ayatollahs du droit d’auteur. Il mérite donc bien selon moi un Big Brother Award pour l’ensemble de son oeuvre.

P.-S.

 A lire aussi le site EUCD.info, depuis sa création en 2002 : http://eucd.info

Notes

[1Voir l’article « Boulets de la République, vous êtes bien mal embouchés ! » ou encore le « Petit Bréviaire de la Corruption » sur le site www.nodula.com.

[2Cf op. cit. "Boulets de la République..."

[3Un film qui n’est plus en ligne mais a été exhumé ici. Se reporter aussi aux 2 images que nous reproduisons, captures d’écran du site internet du ministère à l’époque. Depuis ils ont donc remplacé la tête de terroriste et la tête
de mort.

[5Ce qui pour certains leur vaut d’être alignés pour prise illégale d’interêts par l’auteur du site nodula.com. Cf cet article ou celui-là.

[6Cette commission administrative mise en place par Catherine Tasca (décidemment) avait d’ailleurs été nommé en 2002 dans la catégorie Orwell États / Élus « pour sa contribution zélée au projet de loi "relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information", [DADVSI] implémentant la directive EUCD très contestée ». Pas de hasard.