Eric Woerth, ministre du Budget, est l’homme qui met en oeuvre avec zèle la lutte contre la fraude, promesse électorale de Sarkozy "aux français qui travaillent".
Chargé de cette mission interministérielle fin 2007 par la présidence et le premier ministre, Eric Woerth met les bouchées double.
Début 2008, il annonce la couleur : "Pour la première fois, toutes les formes de fraudes fiscale et sociale, qu’elles portent sur les prélèvements ou les prestations, seront traitées de manière globale et concertée. L’effort consacré à la lutte contre la fraude sera porté à un niveau inégalé.". Cette chasse aux fraudeurs visent bien plus les précaires et les bénéficiaires de minima sociaux, qui toucheraient indument des aides, que les patrons resquilleurs de TVA ou employeurs au noir.
La matérialisation la plus dangereuse pour la vie privée de tous les allocataires est un nouveau "répertoire", le RNCPS (Répertoire National Commun de la Protection Sociale). Il est encore en chantier, mais selon des documents officiels, il s’agit d’un fichier unique des assurés, commun aux organismes chargés d’un régime obligatoire de la sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille, accidents du travail-maladies professionnelles), aux organismes de recouvrement, à Pôle emploi et aux caisses assurant le service des congés payés, soit une soixantaine d’organismes. Fait plus préoccupant : c’est le numéro d’inscription au répertoire (le NIR) qui a été choisi comme identifiant unique pour la mise en commun de tous ces répertoires nationaux. Or la Cnil a toujours demandé « que l’emploi du NIR comme identifiant des personnes dans les fichiers ne soit ni systématique, ni généralisé »
Eric Woerth, en 2008, a préparé le terrain avec un zèle méticuleux :
– Il a déjà mis son nom au bas du décret "train de vie" qui prévoit que l’octroi des minima sociaux, aides au logement, etc, prenne en compte l’évaluation des biens — propriétés immobilières, véhicules, mais aussi appareils électroménagers et informatiques, objets d’art etc.
– En avril, il met en place la délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF), destinée à "coordonner les actions menées par les services de l’État et les organismes de la protection sociale, à améliorer la connaissance des fraudes et à favoriser le développement des échanges de fichiers".
– Pour "optimiser le partenariat et les échanges d’informations entre l’ensemble des organismes chargés de lutter contre la fraude’ il fait signer une convention entre les divers organismes de prestations sociales et les services de l’état. Il s’agit "de faciliter les échanges de données entre les différents acteurs de la lutte contre la fraude. Ainsi, en
fonction de leurs besoins, chaque partenaire définira le niveau pertinent d’échange et de partage de données (national, régional ou départemental) et leurs modalités pratiques (supports, agents habilités). Chaque partenaire s’engage par ailleurs à favoriser la consultation directe de ses bases de données nationales par les parties signataires."
C’est dans le paragraphe concernant les "outils communs d’information" que l’on découvre le plus inquiétant, il introduit le principe du NIR comme identifiant unique : "Les partenaires s’engagent à étudier l’architecture et les modalités d’utilisation d’outils communs de partage de données en matière de fraude en s’appuyant sur le Répertoire national commun de la protection sociale (...). Afin de garantir l’authenticité et la fiabilité des données échangées, (...) ce répertoire permettra notamment de vérifier la précision des états civils figurant dans les échanges, et de les simplifier en permettant d’effectuer des diffusions automatiques vers les organismes concernés, tout en offrant la possibilité de mise à disposition spontanée d’information par les partenaires sans recours à des demandes par fichiers d’appel. De même, l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire [NIR] des personnes physiques doit être privilégiée dans les échanges dès lors que les organismes y sont autorisés par la CNIL (...)."
Tous ces croisements et échanges automatisés de données sont soumis à simple déclaration à la CNIL, qui ne vérifiera que plus tard. Ainsi, les données des assurés et bénéficiaires deviennent accessibles à une multitude de services et d’agents (14 000 pour les seules CAF), sans qu’ils en soient même informés.
Par ailleurs, le Budget est en train de créer "à titre expérimental" (sic) des "comités locaux de lutte contre la fraude", qui réuniront justice, la police, services sociaux, le maire et le préfet, qui seront donc potentiellement destinataires en cas de soupçon de fraude. Et des circulaires ajoutent régulièrement des champs de données et des destinataires.
Ce qui a fait dire aux administrateurs CGT de la Caisse nationale d’allocations familiales que « les systèmes informatiques des régimes sociaux et fiscaux ouvrent des possibilités infinies d’exploitation et de croisements des données hors de l’assentiment des assurés sociaux et des familles », et « la lutte contre les fraudes ne peut servir d’alibi à de telles pratiques ».
Voir aussi en Orwell Novlang le dossier IGGACE, inspiré directement de la politique d’Eric Woerth : une méthode de détection de la fraude particulièrement sournoise, testée par la CAF.